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Dans son arrêt du 27 janvier 2022, C-179/20, Fondul Proprietatea, la CJUE se prononce sur un dispositif mis en place par les autorités roumaines afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité du pays, et réaffirme à cette occasion le principe d’égalité dans l’accès au réseau.

1 – Les mesures nationales en cause dans cette affaire sont les suivantes. D’abord, une loi a prévu qu’un accès garanti aux réseaux électriques peut être accordé à des centrales utilisant du « combustible indigène ». Ensuite, une décision a, premièrement, accordé à deux centrales thermiques, un tel accès garanti, à hauteur d’une certaine puissance, deuxièmement, ordonné au gestionnaire de réseau national de garantir un appel prioritaire de l’électricité produite par ces centrales et, enfin, imposé à celles-ci l’obligation de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau.

2 – Tâchons de préciser le sens des termes mis en italique afin de bien saisir le contexte de l’affaire. Faire fonctionner, en temps réel, un réseau d’électricité est un art complexe. Le gestionnaire de réseau doit en effet veiller à l’équilibrage, c’est-à-dire assurer, à tout instant, un exact équilibre entre la production et la consommation d’électricité sur l’ensemble du réseau. Il doit aussi prévenir les congestions, c’est-à-dire la saturation de la capacité technique des liaisons électriques.

Le respect de ces deux impératifs est assuré par le gestionnaire de réseau par le biais de plusieurs mécanismes dans le cadre desquels il peut notamment solliciter les installations raccordées au réseau, qui lui rendent alors des services auxiliaires.

3 – In fine, la mise en œuvre de ces mécanismes peut aboutir à augmenter ou à diminuer la quantité d’énergie produite par une installation raccordée au réseau. Partant, des régimes de faveur, réservés à certaines catégories de producteurs, et leur permettant d’échapper à ces aléas, ont été imaginés. C’est ainsi que, dès le, début des années 2000, les textes du droit de l’UE prévoient des mesures d’ « accès prioritaire » ou « accès garanti » au réseau en faveur des énergies renouvelables (reprise dernièrement à l’article 16, paragraphe 2, b) de la directive 2009/28/CE) ou encore d’ « appel prioritaire » des installations de production d’ENR, mais aussi de cogénérations et, sous certaines conditions, celles utilisant des sources d’énergie « combustibles indigènes » (directive 2009/72/CE, article 15, paragraphes 3 et 4).

4 – Or, ces notions n’ont pas été encadrées juridiquement avec le même degré de détail.

L’appel (« dispatch » en anglais) généralement parlant désigne l’opération par laquelle le gestionnaire de réseau sollicite les installations de production afin de répondre à la demande d’électricité. Des textes du droit de l’UE sont venus préciser progressivement son régime. Le choix des installations de production à appeler doit se faire en application de critères objectifs dont le plus important est celui de la préséance économique : les installations aux coûts de production les plus faibles sont appelées en premier. Dès lors, l’appel prioritaire, ainsi que défini par le règlement 2019/943, implique de solliciter en priorité, sans égard pour la méthodologie normalement prévue, les installations correspondant à une certaine catégorie.

En revanche, la notion de l’accès garanti ou prioritaire, n’a pas eu la même fortune et l’avocat général, dans ses conclusions sous l’arrêt commenté, note d’ailleurs que la « rareté des matériaux » la concernant « n’aide indéniablement pas à sa compréhension ». La seule disposition qui reprend ce terme est le considérant 60 de la directive 2009/28/CE, selon lequel l’accès garanti pour les énergies renouvelables consiste, en substance, à assurer au producteur la possibilité d’injecter dans le réseau la totalité de l’électricité qu’il produit. Or, l’une des contraintes pouvant venir limiter un tel droit est précisément le fonctionnement de l’appel, qui pourrait aboutir, dans certains cas de figure, à un écrêtement des installations ENR. En d’autres termes, un accès prioritaire ou garanti pourrait être matérialisé, notamment, par un appel prioritaire.

5 – C’est sans doute ce qui explique la position du gouvernement roumain dans l’affaire qui nous intéresse (nous y venons !). En effet, la loi roumaine en cause accorde à des centrales utilisant des sources combustibles indigènes un accès garanti au réseau. Or, le gouvernement a soutenu que cette loi pouvait valablement transposer l’article 15, paragraphe 4 de la directive 2009/72/CE, qui prévoyait, pour la même catégorie d’installations, un régime d’appel prioritaire.

6 – Toutefois, ce n’est pas ainsi que l’entend la CJUE, qui, faisant sienne l’interprétation de la Commission, considère que les règles d’accès « déterminent quel producteur a accès aux réseaux en cas de congestion physique » (point 64 de l’arrêt). Or, en pratique, les congestions physiques sont éliminées par le gestionnaire de réseau grâce à une série d’actions (connues en droit de l’UE sous le terme « redispatching ») qui peuvent inclure, notamment, la révision à la baisse de la production d’une installation.

C’est donc sur le fondement de cette interprétation restrictive de la notion d’accès garanti que la Cour rejette l’argumentation de la Roumanie, jugeant qu’un accès garanti au réseau pour des centrales utilisant des sources combustibles indigènes ne peut être fondé sur l’article 15, paragraphe 4 de la directive, susmentionné.

7 – Dépassant le cadre initial de la question préjudicielle, elle examine ensuite si le droit national peut prévoir une telle mesure, sans porter atteinte au droit de l’UE, et plus précisément au principe de l’accès non discriminatoire des tiers aux réseaux, consacré à l’article 32 de la directive 2009/72/CE et auquel une jurisprudence constante de la Cour accorde la plus haute importance pour assurer la construction du marché intérieur de l’électricité.

Un accès garanti au réseau constitue bien entendu une différence de traitement. La Cour recherche donc, de manière classique, si cette différentiation se base sur des critères objectifs, est justifiée au vu d’un but légitime et proportionnée à celui-ci. Elle valide, sans surprise là encore, l’objectif de la mesure en question, à savoir des considérations de sécurité d’approvisionnement. Elle renvoie en revanche à la juridiction nationale le soin de contrôler la proportionnalité de la mesure et l’objectivité des critères qui ont permis de sélectionner les deux centrales qui en bénéficient.

8 – Dans l’arrêt commenté, la Cour répond également à une deuxième question préjudicielle, se posant en des termes plus familiers puisque concernant le fait de savoir si la mesure roumaine en question constitue une aide d’Etat. La CJUE l’examine de manière globale, comme un « paquet complet de mesures ». Cela lui permet de reconnaître un avantage pour les centrales concernées (puisque la mesure leur permet, in fine, de fonctionner en continu et d’éviter, notamment, les coûts liés au redémarrage des installations). Elle considère également que cet avantage est octroyé au moyen de ressources d’Etat dès lors qu’il existe une obligation pour le gestionnaire de réseau roumain, une entreprise publique, d’acheter les services auxiliaires que les centrales ont l’obligation de fournir.

9 – La Cour subordonne cependant la validité de cette analyse à la condition que le prix versé par le gestionnaire de réseau pour les services auxiliaires soit supérieur à celui du marché. Or, selon les déclarations du gestionnaire de réseau citées dans l’arrêt (point 40), il n’est pas certain qu’un prix de marché, au demeurant purement hypothétique (puisque dans les faits, le prix est fixé par l’autorité de régulation), aurait été inférieur, compte tenu des conditions de concurrence dégradées sur le marché national des services auxiliaires.

10 – S’il s’avérait que le prix perçu pour les services auxiliaires par les centrales visées par les mesures n’était pas supérieur à celui du marché, alors il serait possible de renverser l’analyse : l’obligation de fournir des services auxiliaires serait non pas un avantage, mais une sujétion imposée aux centrales thermiques, laquelle viendrait compenser l’avantage, incontestable celui-ci, représenté par l’accès garanti et l’appel prioritaire. La Cour, qui a préféré examiner les mesures comme un « paquet complet », ne s’est pas engagée sur ce chemin.