Longuement attendu par la filière, le décret n°2024-718 relatif à l’obligation de restitution de certificats de production de biogaz (CPB) a finalement été publié au Journal Officiel du dimanche 7 juillet 2024.
Accompagné d’un arrêté publié le même jour, il constitue le second volet règlementaire du dispositif des CPB, introduit par la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, et qui vise à soutenir le développement de la filière biogaz en créant pour les producteurs un revenu supplémentaire distinct de la vente du gaz.
Un premier décret n° 2022-640 du 25 avril 2022 avait déjà introduit dans la partie réglementaire du code de l’énergie des dispositions relatives au dispositif des CPB, mais celui-ci restait incomplet et ne pouvait être mis en application jusqu’à présent.
La publication du décret n°2024-718 est donc l’occasion de revenir sur le fonctionnement du dispositif dans son ensemble.
1. Obligation de restitution des CPB
Désormais prévu pour démarrer au 1er janvier 2026 (date de début de la première période de l’obligation de restitution de CPB, telle que fixée par le nouvel article R. 446-113 du code de l’énergie réécrit par le décret n°2024-718), le dispositif des CPB met à la charge des fournisseurs de gaz une obligation de restituer à l’État un volume de CPB proportionnel aux volumes de gaz qu’ils commercialisent à certaines catégories de clients.
Cette obligation pèse sur les fournisseurs qui livrent du gaz à des consommateurs finals et dont le volume global de livraisons de gaz est supérieur à un seuil, initialement fixé à 400 GWh/an, puis réduit de 100 GWh à chaque année civile. A noter à cet égard que cette réduction a vocation à démarrer, aux termes de l’art. R. 446-114, l’année « suivant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article R. 446-113 ». Or, si le décret n°2024-718 a entièrement refondé l’article R. 446-113, ce dernier existait déjà précédemment et est entré en vigueur le 1er juillet 2023, comme le prévoit le décret n° 2022-640 susmentionné. Conformément à la lettre de la réglementation, la réduction du seuil commence donc dès 2024 – alors même que le dispositif ne sera fonctionnel qu’en 2026.
Le décret n°2024-718 détermine le volume de l’obligation de restitution de chaque fournisseur. Il prévoit en premier lieu que seuls sont pris en compte, pour le calcul de cette obligation, les volumes de gaz livrés aux clients résidentiels, aux propriétaires ou copropriétaires d’immeubles d’habitation, aux entreprises du secteur tertiaire, ainsi qu’aux exploitants d’équipements de chaleur et de froid ou de réseaux de chaleur, mais uniquement pour ce qui concerne les besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire (art. R. 446-113).
Cette assiette englobe donc essentiellement les secteurs résidentiel et tertiaire, en adéquation avec l’ambition de s’assurer que le dispositif ne porte pas atteinte à la compétitivité des industriels français, déjà visible dans les travaux parlementaires de la loi « Climat et Résilience ».
Pour autant, il convient de noter que si les usages de gaz sous forme de process industriel sont bien exclus, les industriels qui recourent, pour les locaux, à des contrats d’exploitation ou au raccordement à un réseau de chaleur sont bien exposés, indirectement, au dispositif – et ce, à la différence de ceux qui concluent directement avec leur fournisseur le contrat de gaz pour leurs besoins de chauffage.
Un alinéa spécifique de l’article R. 446-113 vient préciser que les ventes de gaz aux réseaux de chaleur, dans la limite de la puissance souscrite pour la production de chaleur de bâtiments, ou réalisées en exécution de contrats d’exploitation, sont considérées comme des ventes de gaz à des consommateurs finals. Or, cette notion de « ventes à des consommateurs finals » n’est pas utilisée pour la détermination de l’assiette de l’obligation. On peut penser que cette précision a plutôt pour objet d’inclure dans le périmètre des fournisseurs obligés ceux qui livrent du gaz à ces catégories de clients – en effet, tant l’article R. 446-114, susmentionné, que l’article L. 446-42 que celui-ci vient préciser, disposent que seuls sont concernés par l’obligation de restitution les fournisseurs « qui livrent du gaz naturel à des consommateurs finaux ».
Le décret n°2024-718 fixe surtout le niveau de l’obligation de restitution en prévoyant le coefficient permettant de déterminer le nombre de certificats à restituer pour un volume donné de livraisons de gaz entrant dans l’assiette. Ce paramètre, dimensionnant puisqu’il impacte tant les prix à venir des CPB que, en fin de compte, le niveau de production de biométhane qui pourra bénéficier de ce nouveau mécanisme de soutien, a plusieurs fois évolué au gré de différentes versions du projet de décret. Fortement augmentés à l’issue de l’examen en Conseil Supérieur de l’Energie (CSE), les coefficients retenus avaient été critiqués par la CRE, comme correspondant, selon elle, à une trajectoire du développement de la production de biométhane trop ambitieuse. Le décret publié le 7 juillet tient compte de l’avis de la CRE, avec une réduction des coefficients de l’ordre de 35%. Ceux-ci restent cependant bien supérieurs à ceux de la version antérieure au passage en CSE.
2. Conditions de délivrance des CPB
Les réserves de la CRE quant au niveau de l’obligation de restitution s’expliquent par le fait que celui-ci doit être cohérent avec les gisements disponibles de CPB. En effet, les fournisseurs obligés doivent soit produire eux-mêmes les CPB nécessaires, soit les acquérir à d’autres acteurs, c’est-à-dire, en principe, des producteurs de biométhane injecté dans les réseaux qui se sont vus délivrer des CPB (marché primaire) ou des acteurs ayant contractualisé avec de tels producteurs et souhaitant revendre leurs CPB (marché secondaire). En principe, un CPB est délivré pour un MWh de biométhane injecté (art. L. 446-37), avec toutefois la possibilité d’une modulation à la baisse de ce nombre, d’ores et déjà mise en œuvre pour certaines catégories d’installations de production par l’arrêté du 6 juillet 2024.
Le dispositif des CPB n’est pas cumulable avec les autres formes de soutien public à la production de biométhane (contrats d’obligation d’achat pour le biométhane injecté dans les réseaux attribués dans le cadre d’un guichet ouvert ou d’un appel d’offres, ou délivrance de garanties d’origine). Les producteurs ne peuvent se voir délivrer des CPB pour les volumes de biométhane bénéficiant de celles-ci (art. L. 446-38 et L. 446-40).
Les producteurs devront donc arbitrer entre les différents dispositifs en fonction de leur attractivité, étant précisé que, selon la CRE, il est probable que les petites installations continueront de s’orienter vers le guichet ouvert et les installations plus grandes auront le choix entre le dispositif des CPB, les contrats de vente de droit privé avec valorisation de garanties d’origine (Biomethane Purchase Agreements), et l’appel d’offres biométhane injecté, actuellement en cours.
Les fournisseurs obligés risquent donc de rencontrer des difficultés pour acquérir les CPB nécessaires pour s’acquitter de leur obligation, d’autant plus que, compte tenu de la durée de développement des projets de production de biométhane, seuls les acteurs disposant de capacités de production de biométhane en propre ou en mesure de conclure des contrats avec les producteurs sur le long terme pourront être actifs sur le marché primaire des CPB.
3. Modalités de restitution des CPB
Le non-respect de l’obligation de restitution est sanctionné, après mise en demeure, par le versement d’une pénalité au Trésor public (art. L. 446-45 et L. 446-46). Le montant de cette pénalité a été fixé, par l’arrêté du 6 juillet 2024, à 100€, soit le montant maximal permis par la loi.
Pour autant, le décret n°2024-718 introduit un facteur de flexibilité, puisqu’il prévoit, en substance, que le respect de l’obligation de restitution s’apprécie non pas sur une année, mais sur l’ensemble de la période de trois ans de l’obligation. En effet, il est prévu que les fournisseurs déclarent au ministre chargé de l’énergie, au plus tard le 1er mars de chaque année, les données permettant de calculer leur niveau d’obligation. Or, ils auront désormais la possibilité d’indiquer, dans cette déclaration, le solde de CPB non restitués, qui est reporté aux années suivantes de la période (art. R. 446-115, 4° nouveau), ce qui paraît pourtant contraire, sinon à la lettre, du moins à l’esprit de l’article L. 446-44.
De plus, l’article R. 446-122, qui prévoit la possibilité pour le ministre chargé de l’énergie, en cas de manquement du fournisseur à ses obligations déclaratives, d’établir d’office les déclarations nécessaires, a désormais vocation à ne s’appliquer qu’une fois qu’une période de l’obligation s’est terminée (soit à compter du 1er juillet 2029 en ce qui concerne la première période). En d’autres termes, une déclaration incorrecte, ou simplement non effectuée, de la part d’un fournisseur, ne pourra être rectifiée par les pouvoirs publics avant cette date, les fournisseurs disposant ainsi d’une forme de délai de grâce pour s’acquitter de leurs obligations sur l’ensemble des années de la période.
Pour autant, si la déclaration a bien été effectuée, son contenu fait foi et il est à noter que les dispositions permettant au ministre de mettre en demeure le fournisseur concerné d’acquérir les certificats manquants, puis d’appliquer, le cas échéant, la pénalité financière (art. R. 445-123 et 124), à la différence de celles, susévoquées, lui conférant le pouvoir d’établir d’office la déclaration du fournisseur, ne prévoient aucune date spécifique pour leur application et peuvent par conséquent être mises en œuvre sans attendre la fin de la période. Par conséquent, un fournisseur qui se serait acquitté de son obligation déclarative sans disposer des certificats correspondants s’exposerait de ce fait immédiatement au paiement de pénalités alors qu’un autre qui aurait entièrement omis d’adresser sa déclaration ne risquerait rien jusqu’en 2029.
Dans ce contexte, même s’il est permis de penser que le ministre fera un usage raisonnable des pouvoirs qui lui sont impartis, l’approche la plus adéquate pour les fournisseurs sera bien de procéder à la déclaration dans les délais, tout en faisant pleinement usage de la flexibilité offerte par la possibilité de déclarer un solde de CPB non restitués pour éviter tout risque d’application anticipée des pénalités.
Si les textes du 6 juillet 2024 complètent le dispositif réglementaire, le décret n°2024-718 appelle à son tour des précisions supplémentaires, renvoyant à un arrêté pour fixer certains paramètres permettant d’établir le niveau d’obligation d’un fournisseur. Du reste, l’enjeu sur les années à venir consistera certainement en la structuration d’un marché secondaire viable des CPB. La question de l’attractivité du dispositif pour les producteurs face aux modes de soutien alternatifs sera également déterminante.