A l’occasion d’un contentieux en matière d’aides d’Etat dans le secteur de l’énergie, le Tribunal de l’UE fait une application originale – et profondément transfrontalière – du principe de non-discrimination.
Pour favoriser le recours au biogaz, gaz renouvelable qui reste plus onéreux que le gaz naturel fossile, la Suède avait mis en place, dès le milieu des années 2000, un cadre fiscal avantageux exemptant ce produit de taxes (accises), versées au moment de l’achat par le consommateur final.
Ce régime d’aide avait été calibré pour compenser les surcoûts de production du biogaz, tout en veillant à ne pas aller au-delà. En effet, aux côtés des critères de la poursuite d’un but d’intérêt commun et de la nécessité, l’absence de « surcompensation » est l’une des conditions essentielles de validité d’un régime d’aide, permettant de démontrer sa proportionnalité au vu de l’objectif poursuivi. Pour s’en assurer, la Suède a notamment étudié les hypothèses de cumul de l’exemption fiscale avec d’autres dispositifs d’aides au bénéfice du biogaz prévus par le droit suédois.
Les mesures mettant en place ce régime avaient déjà été approuvées par la Commission à plusieurs reprises, et puisqu’elles devaient expirer en 2020, la Suède a soumis à la Commission une demande de prolongation de leur validité jusqu’en 2030, ce que cette dernière a accepté dans deux décisions adoptées en juin 2020, à l’issue d’un examen préliminaire et sans ouvrir de procédure formelle d’examen (« phase 2 »). La routine, en somme.
Seulement, il se trouve que le Danemark voisin avait mis en place un dispositif de soutien non pas au bénéfice des consommateurs, mais des producteurs de biogaz. Exporté en Suède, ce biogaz danois se trouvait donc en situation de cumuler une aide à la production (danoise) et une aide à la consommation (suédoise)…évinçant, selon le requérant, les produits d’autres acteurs du marché.
Saisi par un producteur allemand de biométhane de recours contre les décisions de la Commission, le Tribunal écarte d’abord l’argumentation de la Commission selon laquelle les lignes directrices applicables (lignes directrices 2014/C 200/01, relatives aux aides à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020) n’exigeraient pas de vérifier l’absence d’un cumul transfrontalier d’aides. En effet, cette exigence se déduit du principe de proportionnalité des aides, bel et bien visé par les lignes directrices.
Le Tribunal examine ensuite la question sous l’angle du principe de non-discrimination mais aussi – puisque la mesure en jeu est de nature fiscale – de l’interdiction d’une taxation différenciée des produits des autres Etats membres (art. 110 TFUE). En effet, si le régime d’aide suédois devait être adapté pour en faire perdre le bénéfice au biogaz d’origine danoise, le premier réflexe serait d’y voir une forme de protectionnisme.
Il n’en est rien, dit le Tribunal. Au contraire, c’est précisément afin d’assurer un traitement non-discriminatoire du biogaz, quelle qu’en soit l’origine, qu’il était nécessaire de prendre en considération l’ensemble des aides dont il bénéficie, peu importe si celles-ci ont été accordées par la Suède ou un autre Etat-membre. A tout le moins la Commission aurait-elle dû envisager sérieusement cette possibilité, et donc ouvrir une procédure formelle d’examen.
Les problématiques transfrontalières sont courantes dans la conception des régimes d’aides dans le secteur de l’énergie – il suffit de penser à la participation des interconnexions au mécanisme de capacité. Cependant, l’enjeu consiste le plus souvent à s’assurer que le dispositif est ouvert aux acteurs étrangers. C’est ici la situation inverse qui a fait l’objet de la décision du Tribunal. Elle souligne la difficulté à laquelle les pouvoirs publics sont confrontés dans la conception des outils pour favoriser la transition énergétique dans le contexte d’un Marché intérieur de l’énergie à l’échelle de l’Union.
Tribunal, arrêt du 21 décembre 2022, affaire nº T-626/20, Landwärme GMBH c/ Commission